Tout change, en permanence. Notre corps, notre mental, notre environnement, notre regard, l'Autre, le monde. Le Yoga appelle ce concept parinama. Chaque chose, à son propre rythme, se transforme inéluctablement dans un processus qui n'est qu’enchevêtrements d'accélérations et de ralentissements. Ce changement est une force incroyable qui donne une direction mais peut aussi créer des froissements, des collisions intérieures. Sur quoi peut-on s’appuyer si tout change ? Pourquoi ce moment extraordinaire doit-il se terminer ? Pourquoi ce doute doit-il se prolonger ? Nous voudrions devenir maître du temps parce qu’il nous est difficile de vivre pleinement le présent, sa succession de remous et de soubresauts, de frissons et d’impulsions, préférant parfois nous projeter dans un futur désirable, synonyme d’un salut à venir, ou dans les méandres nostalgiques d’un passé que l’on recompose sans cesse afin de pouvoir dire que « c’était mieux avant ». Souvent, nous refusons que cela change quand on sent que le monde, les autres, ne vont pas où nous voulons qu’ils aillent. Quand on sent qu’une chose agréable ou une situation confortable va se terminer, quand on perçoit que le familier, le connu va céder place à l’inconnu. Nous vivons cela pour toute forme de rupture qui nous pousse à sortir du sentiment de maîtrise. Jusqu’à supporter l’inacceptable d’une vie qui vient à s’éteindre, nous renvoyant à notre propre finitude, celle du corps auquel nous nous identifions, inflexible destin de toute chose. En définitive, nous voudrions que les obstacles soient éphémères et les belles choses éternelles.
Pourtant, « comprendre que le changement est inscrit dans la nature de tous les phénomènes du monde animé ou inanimé nous évite de nous accrocher aux choses comme si elles devaient durer éternellement" nous dit le sage Matthieu Ricard. Ne pas s’attacher, plus facile à écrire qu’à faire. Mais le monde bouge et nous avec lui, qu’on le veuille ou non. Alors que pouvons-nous faire d’autre que d’être là avec ce qui est ? Peut-être tenter de découvrir la mesure du temps, s’apercevoir que chaque seconde est différente de la précédente, la rendant si précieuse. Tenter de laisser courir le temps sans vouloir l’attacher pour nous rendre disponible à tout ce qui arrive, pour voir le temps comme un germe qui se renouvelle à l’infini, symbole du présent qui est tout ce que nous avons et nous aurons toujours. Tenter de nous émerveiller de cet ordinaire, jugé souvent fade et banal, point de passage pour un demain qui chante, pour y dénicher l’extraordinaire, exercice de soi sur soi pour prendre conscience du miracle même de la vie. Vivre parinama comme une chance d’expérimenter l’inconnu et redécouvrir le connu avec un œil neuf. Devenir celles et ceux qui dansent, au milieu de la vie qui frétille ou temporise. Faire qu’un avec ce monde qui change, se réinvente sans cesse, changeons-nous pour changer le monde disait Gandhi. C’est ici que nous pouvons devenir un mouvement parmi d’autres qu’il s’agit de joindre à l’ensemble, comme on accorde un violon au milieu d’un orchestre. Se laisser emmener ici ou là , au rythme du vivant, laisser les fausses notes disparaître dans l’écho du monde, redécouvrir chaque jour cet agréable refrain du quotidien, accepter les changements de tons, entendre les voix délicieuses ou discordantes, les voix extérieures ou intérieures qui chantent, aboient, rouspètent, réclament, rugissent ou pleurent. Vivre avec elles et y apporter la nôtre, celle qui vient du plus profond, une voix du cœur, sûrement ce qu’il y a de plus stable et constant dans cette vie qui oscille, cette part de nous qui sait s’abandonner à l’existence et n’a de cesse de crier oui, oui à la vie !
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